Envoûtements

Entre l’ossature et la carapace, les enchantements d’amour

 

Les sociétés traditionnelles africaines dans leur majorité ne font pas du consentement mutuel des parties une condition rigoureuse pour la formation d’un ménage. Elles insistent plutôt sur les arrangements préalables entre les familles des candidats au mariage mais ce n’est pas pour autant qu’elles méconnaissent l’impact des sentiments sur la stabilité d’un foyer. Elles ont développé l’art de la manipulation des sentiments grâce aux charmes d’amour. La logique ici c’est de s’occuper d’abord de « l’ossature », et après seulement vient la « carapace ».  Autrement dit, les sentiments seront « ajustés » parce que « l’homme », pense-t-on, ne peut pas se payer le luxe de « s’amouracher » de n’importe qui au risque de mettre en péril la sécurité de sa famille ou de sa communauté. Cette obligation pèse davantage encore sur les privilégiés de la société que sont les princes, les gardiens des secrets initiatiques, etc. Leurs compagnes sont éduquées et « apprêtées » s’il le faut, depuis le sein maternel.

Lorsque les mesures préservatives ne sont pas prises en amont, c’est-à-dire quand les destins des parties ne sont pas liés depuis l’enfance, alors elles s’imposent en aval. En d’autres termes, les « candidats » qui s’opposent au projet de mariage, y sont contraints de manière subtile par envoûtement. De même, une liaison désavouée par la société ou qui ne produit pas les effets attendus sera tout simplement brisée.

Si les pratiques traditionnelles dans leur ensemble sont décriées sur le continent, la science secrète des envoûtements d’amour est toujours d’actualité, bien protégée et bien acceptée.

De nos jours, hommes et femmes recourent à cette science pour gagner l’attachement du conjoint convoité, cependant l’usage traditionnel de cette magie persiste encore puisque certains hommes s’en servent toujours pour garder leurs épouses soumises et fidèles ou pour se faire justice.

Des faits et gestes apparemment anodins

Les formules classiques d’envoûtement d’amour sont les filtres et les rituels occultes. D’autres plus subtiles existent pourtant qui ne sont pas moins efficaces.  Il s’agit souvent d’objets magnétisés à faire toucher ou côtoyer par la personne désirée (un mouchoir, un stylo, n’importe quel objet) ou encore des paroles incantatoires à murmurer en sa présence.

Un regard, une poignée de main ou une bise amicale peut avoir un effet envoûtant. Il existe aussi des bagues occultes que les femmes portent dans leurs matrices et qui les lient à leurs amants pour la vie.

La magie cérémoniale s’impose seulement en cas de difficulté de contact entre le demandeur et la personne désirée et nécessite pour être efficace un support de la personne désirée, soit une mèche de cheveux, un vêtement, une photo…

Les filtres d’amour par contre exigent le support du demandeur (sang, urine du matin, sécrétion vaginale ordinaire ou menstrues, poils des aisselles, du pubis, gouttes de salive ou de semence recueillie dans un mouchoir pour les hommes.) puisqu’ils sont destinés à être consommés par la personne désirée.

Secrets de préparation des filtres d’amour

Un filtre d’amour est nécessairement un mélange d’une essence et du support de l’envoûteur. L’essence provient de tout ou parties de certaines plantes, de certains animaux ou encore de certaines substances.

Une conception répandue fait du point de jonction entre deux plantes différentes ou arbres qui s’entrecroisent et de tout ou parti d’animaux évoluant en couple, la substance de base de ces produits magiques.

Pour obtenir un filtre d’amour, il suffit de se procurer de la poudre issue du nœud formé par une plante saprophyte comme le gui et l’arbre qui lui sert de support (choisir la partie où les deux essences se fusionnent véritablement) ou encore des plumes de tourterelles ramassées dans leur nid en s’assurant qu’elles proviennent des deux oiseaux et y ajouter le support du soupirant. L’astuce réside dans le choix du support. Le sang suppose la passion et établie un pacte à vie, les secrétions, la sensualité. Les poils des aisselles et du pubis qui forment l’homme entier dans les traditions africaines favorisent la communion parfaite. Seulement le mauvais choix peut provoquer des effets non désirés.

D’avis d’expert pourtant, l’efficacité de ces recettes dépend de certains paramètres tel que la disponibilité du cœur de la personne convoitée, de ses mœurs et surtout de son comportement vis-à-vis de l’envoûteur.

Le Gabara, un instrument de coercition et de justice

Le plus redoutable des charmes d’amour en pays éwé (un peuple qu’on trouve au Togo, au Ghana et au Bénin) est le Gabara.

Cette magie permet à tout homme ayant effectivement dépensé sa fortune pour l’intérêt d’une femme et qui se voit rejeté, de se faire justice. L’intéressé fera confectionner une flûte magique qu’il gardera jalousement en un lieu secret. Il pourra aussi bien le faire garder par le charlatan fabricateur.

A chaque fois que le besoin se fera, il soufflera dans cette flûte en prononçant le nom de sa bien aimée. Où qu’elle se trouve (même remariée à une autre personne) et quel que soit le moment ou les moyens de déplacement requis, elle accourra nécessairement vers le siffleur.

Le Gabara a un effet annihilant sur la volonté de sa victime. Elle suscite un besoin de l’autre qui frôle hystérie et qui pousse la victime au suicide en cas d’impossibilité de rencontre avec le bienheureux siffleur. Dans sa manifestation, cet envoûtement est une sorte de folie dont le seul antidote possible est le retour vers le bénéficiaire de l’envoûtement. Même dans ces conditions, des cérémonies s’imposent pour que la victime puisse recouvrir ses facultés. Des cérémonies que seul le siffleur pourrait ordonner. C’est dire que cette magie transforme sa victime en un objet à la disposition de son propriétaire.

Une forme moins tragique de charme d’amour est l’envoûtement à la musaraigne. Par cette magie, un homme qui se fait humilier par une femme peut l’obliger à devenir sienne à termes. La femme envoûtée se verra désertée par tous ses soupirants aux regards desquels elle passera pour une musaraigne, excepté l’envoûteur. A force d’insister, et en désespoir de cause, l’envoûtée n’aura d’autres choix que de reconsidérer sa position.

Akouvi E. Agbokou (Afiavimag)

 

 

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